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TRIBUNE DANS LES ECHOS - L'Europe doit se doter d'une « taxe équitable aux frontières »

Nos baskets viennent du Vietnam. Nos tee-shirts du Bangladesh. Le smartphone que vous tenez sans doute à la main pour lire ces mots a probablement été assemblé en Chine. Aujourd'hui, une multitude de produits de notre quotidien sont fabriqués à très bas coût à l'autre bout du monde. Ils s'emparent des rayons de nos magasins et des sites de vente en ligne, créant une concurrence déloyale et agressive avec nos entreprises produisant en Europe. 

Nos villes et villages sur le Vieux Continent voient ainsi les activités qui ont fait leur richesse prendre le large petit à petit pour bénéficier des faibles normes salariales loin de nos terres. 

Nous en avons des exemples près de chez nous, où la fermeture d'usines a laissé des cicatrices dans notre tissu industriel. Quant à nos objectifs de puissance et d'autonomie, notamment dans le secteur numérique, ils sont ralentis par cette concurrence inéquitable. Et bien souvent, cette concurrence déloyale se fait sur le dos de travailleurs sous-payés. Parfois même extrêmement pauvres. Nous avons tous en tête cette image de femmes et d'hommes emmurés dans l'exploitation financière, dans d'immenses usines pour les uns, dans des plantations sous un soleil et une chape de plomb pour les autres. 

 Des femmes et des hommes qui travaillent dur pour un salaire de misère et une vie de galère. Pour qui les trente-cinq heures et le SMIC sont à des années-lumière de leur quotidien. 

Il est temps d'agir pour corriger les imperfections de la mondialisation. Le budget européen peut, à cet égard, s'avérer être une arme redoutablement efficace. C'est pourquoi je propose la création d'une « taxe équitable aux frontières ». Celle-ci imposerait à toute multinationale désirant vendre dans le marché européen des produits fabriqués par des travailleurs extrêmement pauvres de payer une charge à l'Union européenne. Cette charge serait équivalente à la différence entre le seuil de pauvreté - c'est-à-dire le salaire qui permettrait à un travailleur de ne plus vivre dans l'extrême pauvreté - et le montant que ce travailleur a véritablement touché. 

La Banque mondiale a défini des seuils de pauvreté selon le niveau de richesse des pays. Ainsi, si une grande entreprise importe 50 tee-shirts du Bangladesh (seuil de pauvreté : 3,65 euros par jour) fabriqués en un jour et pour lesquels le couturier n'a été rémunéré que 2,65 euros, alors elle devra s'acquitter d'une charge de 1 euro auprès de l'Union européenne. 

Un mécanisme simple et efficace. Car en bout de course, deux choix s'offriront à la multinationale : soit mieux rémunérer ses travailleurs dans sa chaîne d'approvisionnement mondiale, soit payer la différence au budget de l'Union européenne. Si l'entreprise opte pour le second choix, alors notre budget communautaire devra renforcer ses programmes anti-pauvreté afin d'accompagner ces travailleurs.

Nos achats ne deviendraient-ils pas, en conséquence, hors de prix ? Nullement. En reprenant notre exemple du couturier, la multinationale pourra très aisément couvrir le montant à compenser pour l'ensemble de ces tee-shirts, à savoir 1 euro, grâce à ses marges bénéficiaires. Et si elle venait à répercuter, sans vergogne, ce coût sur les consommateurs, ceux-ci n'auraient à débourser que 2 centimes de plus pour leur tee-shirt. Une somme dérisoire et insignifiante pour l'acheteur, mais une augmentation de salaire de 37 % pour le couturier. 

Cette taxe équitable aux frontières aurait ainsi plusieurs mérites. Premièrement, elle remettrait en question la stratégie de celles et ceux qui veulent imposer une concurrence déloyale à l'industrie « made in Europe », sur le dos des travailleurs les plus pauvres de la planète. 

Deuxièmement, elle inciterait fortement les entreprises important des biens en Europe à augmenter les salaires dans leur chaîne d'approvisionnement mondiale. Troisièmement, elle assurerait à tous les consommateurs européens la tranquillité de ne plus contribuer malgré eux à une forme d'exploitation financière lors de leurs achats. 

Il est temps d'aligner nos valeurs, nos intérêts et nos actes. L'espoir derrière cette initiative est de redonner une place centrale à l'équité et à la dignité humaine dans nos échanges commerciaux. Certains diront qu'il faut accepter les travers de la mondialisation. Je le refuse. Et nous le pouvons tous. 

Car l'Europe a démontré qu'elle était en mesure d'agir sur les grands défis de nos temps. Dotés de notre force collective, nous avons été les premiers au monde à obliger les entreprises à compenser leur bilan carbone émis hors de notre territoire, les premiers au monde à si fortement protéger les données personnelles de nos internautes. 

Notre Union possède la force nécessaire pour rendre la mondialisation plus juste, plus équitable. Aujourd'hui, plus de 700 millions de personnes vivent dans l'extrême pauvreté à travers le monde, et l'Europe peut contribuer à améliorer les choses. Lançons-nous !