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TRIBUNE DANS L'OPINION - Pour une “taxe” équitable aux frontières!
Tribune publiée dans le journal L'Opinion le 26 février 2023.
C’est l’un des rendez-vous du tout Paris de la mode : la Fashion Week est de retour. Quel style habillera les hommes et femmes de goût pour les mois à venir ? Et si la mode osait un style qui attirerait l’œil, qui rendrait attractif n’importe qui et qui marquerait les esprits ? Et si la mode osait la transparence ? Pas un textile qui dénuderait femmes et hommes, mais la transparence sur les conditions de production des vêtements que nous portons et, en particulier, sur le salaire de ceux qui, à l’autre bout du monde, les confectionnent par millions.
L’heure est venue de mettre la transparence à la mode. La situation déplorable de nombreux travailleurs, en Asie du Sud, du Sud-Est et ailleurs, nous la connaissons tous. L’Union européenne (UE) va bientôt agir sur le respect de l’environnement et des droits humains. La rémunération, elle, reste encore trop prise à la légère. Nous avons les moyens d’améliorer la situation !
Car pendant qu’à Paris, les mannequins défileront sur les tapis rouges et les podiums, des millions de travailleurs se penchent sur leur machine à coudre à des milliers de kilomètres de la Seine pour fabriquer les collections de prêt-à-porter qui suivront la Fashion Week. Et une partie d’entre eux sont rémunérés un salaire indigne qui n’atteint même pas le seuil d’extrême pauvreté. Yves Saint-Laurent disait que ce qui était important dans une robe, c’était la femme qui la portait. J’ajoute que c’est aussi celle, dans son atelier ou son usine, qui la confectionne.
« Au Bangladesh, le seuil d’extrême pauvreté est défini à 3,65 dollars par jour selon la Banque mondiale. Si un employé est rémunéré 2,50 dollars, l’entreprise concernée aura à verser 1,15 dollar à l’UE si elle souhaite vendre en Europe le produit fabriqué »
Concurrence déloyale. Alors, comment s’y prendre ? Je propose une idée inédite : une « taxe » équitable aux frontières, qui ciblerait les multinationales dont les standards de rémunération ne respectent pas la dignité économique des travailleurs. Le principe est simple : toute grande entreprise qui souhaite vendre en Europe des produits fabriqués hors UE par des travailleurs (extrêmement) pauvres devrait s’acquitter d’une charge auprès de l’Union. Cette charge serait équivalente à la différence entre le seuil d’extrême pauvreté du pays d’origine et la rémunération que les travailleurs ont réellement perçue.
Voici un exemple. Au Bangladesh, le seuil d’extrême pauvreté est défini à 3,65 dollars par jour selon la Banque mondiale. Si un employé est rémunéré 2,50 dollars, l’entreprise concernée aura à verser 1,15 dollar à l’UE si elle souhaite vendre en Europe le produit fabriqué. Avec un tel système, ces travailleurs seraient mieux rémunérés. Pour l’exemple en question, on parle d’une augmentation de 46 %. Mais vous allez me dire : combien cela me coûterait-il ? Les multinationales ont les moyens, ont les marges, de couvrir ce surcoût de production. Il serait légitime qu’elles le couvrent. Si elles faisaient le choix délibéré de répercuter ce surcoût sur les clients, les montants seraient si infimes qu’ils seraient absolument indolores pour nous.
Oui, cette « taxe » équitable aux frontières inciterait les grandes entreprises à augmenter les très maigres salaires de ces travailleurs du bout du monde. Par ailleurs, nous freinerions la concurrence déloyale que subissent nos entreprises européennes, car une multitude de produits en tous genres, des textiles à l’électronique, inondent notre marché et freinent le « made in Europe ». Frappons d’une pierre deux coups. Sur le climat ou la pollution, l’Europe a déjà infléchi les règles de la mondialisation : ne nous arrêtons pas là !
Valérie Hayer est co-présidente de la délégation de la majorité présidentielle au Parlement européen et représentante du groupe Renew Europe sur les questions budgétaires.