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PRESSE | LE MONDE | Plan de relance européen : une étape cruciale a été franchie

Le Parlement européen a obtenu des aménagements, notamment en ce qui concerne les ressources propres, ces prélèvements communautaires permettant de financer l’emprunt commun

Par Virginie Malingre (Bruxelles, bureau européen) - Publié le 10 novembre 2020 à 15h31 - Mis à jour le 10 novembre 2020 à 18h26

Ce n’est pas encore la fin de l’histoire mais une étape, cruciale, vient d’être franchie pour que le plan de relance européen de 750 milliards d’euros voie le jour. Après que les Vingt-Sept se sont mis d’accord le 21 juillet, au terme de quatre jours et quatre nuits de négociations, sur ses modalités et sur le budget communautaire (pour la période 2021-2027) de 1 074 milliards d’euros qu’il doit venir abonder, il fallait encore que le Parlement européen donne son aval.

C’est désormais chose quasi acquise, même si le vote en plénière qui devrait formaliser cette avancée n’aura lieu que fin novembre. Mardi 10 novembre, les eurodéputés et le Conseil qui représente les Etats membres ont trouvé un compromis.

Sur le fond, la négociation s’annonçait moins difficile que celle qui a eu lieu entre les gouvernements, initialement très divisés sur l’opportunité même d’un plan de relance financé par un endettement commun des Vingt-Sept et constitué pour grande partie (390 milliards d’euros) du versement d’aides aux pays les plus affectés par la pandémie du Covid. Pour sa part, l’Assemblée législative communautaire n’en conteste en effet pas la philosophie, qui ébauche les contours d’une Europe plus solidaire et plus fédérale, elle y est même très majoritairement favorable.

Une équation complexe

Mais les élus de Strasbourg souhaitaient imprimer leur marque, et leurs marges de manœuvre s’annonçaient serrées. Leurs objectifs étaient clairs : le renforcement des moyens alloués à certains programmes (comme Erasmus, la santé ou la recherche), la création de prélèvements européens qui permettront de rembourser l’emprunt commun (12,9 milliards d’euros entre 2021 et 2027, entre 15 et 25 milliards par an ensuite) − ce qu’on appelle des ressources propres − et donc de ne pas amputer d’autant le budget, ou encore la possibilité d’interdire d’aides les Etats membres qui ne respectent pas l’Etat de droit.

Entre la Pologne et la Hongrie, qui refusent qu’un lien soit fait entre le budget communautaire et l’Etat de droit ; ceux qui, comme les Pays-Bas ou la Finlande, en font une condition sine qua non ; les « frugaux » (Pays-Bas, Suède, Danemark, Autriche) qui par principe refusent que l’enveloppe budgétaire soit augmentée, et sont, comme l’Allemagne, plus que réticents à l’introduction de nouvelles ressources propres, l’équation était hautement complexe. Après plus de deux mois de discussions, quelques séances houleuses, et des concessions de part et d’autre, le résultat est là.

« On a obtenu un accord juridiquement contraignant qui pose le principe selon lequel l’emprunt européen − intérêts et capital − devra être remboursé par de futures ressources propres. C’est une grande victoire » Valérie Hayer, députée

C’est sans aucun doute sur le montant du budget que les négociations ont été les plus ardues et que le Parlement européen a dû revoir très à la baisse ses ambitions. Là où il réclamait plus de 100 milliards d’euros début septembre (en plus des 1 074 milliards), il devra se contenter d’une rallonge de 16 milliards sur sept ans. Celle-ci sera financée, à hauteur de 11 milliards, par le produit des amendes qu’inflige la Commission européenne dans des dossiers liés à la concurrence et qui jusqu’ici revenaient dans les caisses des capitales. Les élus européens peuvent néanmoins se féliciter d’avoir obtenu plus que lors des précédentes négociations budgétaires qui rythment la vie bruxelloise tous les sept ans : en 2006, ils avaient récupéré 4 milliards et en 2013, rien. « C’est un accord historique », a commenté Iratxe Garcia, la présidente du groupe des sociaux démocrates (S&D) du Parlement européen, « pour la première fois, le Parlement européen a obtenu une hausse de l’enveloppe arrêtée par les Etats membres ».

Sur le dossier des ressources propres, les eurodéputés ont sans conteste obtenu des avancées notables. En tout cas, plus qu’ils ne l’anticipaient au début des négociations, tant le sujet peut hérisser certains Etats membres, à commencer par l’Allemagne, qui sont hostiles à l’idée de donner plus d’autonomie financière à une Europe qui aujourd’hui dépend très largement de leurs contributions.

« On a obtenu un accord juridiquement contraignant qui pose le principe selon lequel l’emprunt européen − intérêts et capital − devra être remboursé par de futures ressources propres, et détaille le calendrier selon lequel elles seront introduites. C’est une grande victoire », se réjouit Valérie Hayer, élue de la majorité macroniste, qui a participé aux négociations. « Si le montant des ressources propres devait dépasser le montant des remboursements à effectuer, ce surplus viendrait abonder le budget et ne retournerait pas dans les caisses des Etats membres », poursuit la Française.

Prélèvements communautaires

Le programme va désormais largement au-delà de la seule taxe sur les plastiques non recyclés, dont l’entrée en vigueur était déjà prévue au 1er janvier 2021. Ainsi, il est désormais acté que, au 1er janvier 2023, trois autres impôts viendront alimenter les caisses de la Commission : une taxe sur les géants du numérique, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (destiné à taxer les importations au sein de l’Union de biens produits par des pays tiers dans des conditions qui ne correspondent pas au standard européen en matière de lutte contre le réchauffement climatique), et un système d’échange de quotas d’émission de CO2 élargi aux transports maritime et aérien.

Ces taxes qui restent à inventer devront aussi passer l’examen des parlements nationaux

Qui plus est, au 1er janvier 2026, deux autres ressources propres pourraient être introduites, dont la taxe sur les transactions financières. Et même si les Vingt-Sept ne l’adoptaient pas, elle pourrait voir le jour à l’échelle des pays qui seraient alors disposés à en défendre la mise en œuvre. Aujourd’hui, dix gouvernements − Paris, Berlin, Vienne, Bruxelles, Athènes, Rome, Lisbonne, Madrid, Bratislava, Ljubljana − s’y disent prêts.

Cela dit, l’accord conclu entre le Parlement européen et le Conseil ne détaille pas les modalités de ces futurs prélèvements communautaires, lesquelles feront l’objet de négociations dont on imagine déjà qu’elles seront difficiles entre les Vingt-Sept et devront in fine être adoptées à l’unanimité par les chefs d’Etat et de gouvernement. Qui plus est, ces taxes qui restent à inventer devront aussi passer l’examen des parlements nationaux. Autant d’étapes à hauts risques politiques qui sont loin d’être acquises. « On ne peut pas préempter l’issue de ces discussions », reconnaît Johannes Hahn, le commissaire européen au budget.

A plus court terme, les assemblées législatives des Vingt-Sept devront aussi valider le processus qui doit permettre à la Commission européenne de s’endetter d’ici « à la fin du printemps » espère Johannes Hahn. Si une seule d’entre elles s’y oppose, c’est l’ensemble du dispositif qui tombe. Et, de ce point de vue, l’accord auquel sont parvenus la semaine dernière le Parlement européen et le Conseil sur un mécanisme de conditionnalité du versement des fonds européens au respect de l’Etat de droit fait peser quelques incertitudes.

Pour l’heure, en effet, Budapest et Varsovie, qui y sont hostiles, menacent d’opposer leur veto lors du processus de ratification. « Bien que la Hongrie soit engagée en faveur de la coopération, à la vue des derniers développements elle ne peut pas fournir l’unanimité requise », a ainsi écrit Viktor Orban, le premier ministre hongrois, dans une lettre adressée il y a quelques jours au président du Conseil européen, Charles Michel. Quant à son homologue polonais, il a déclaré, selon l’agence de presse PAP, que son gouvernement « n’approuverait pas une situation où les dépenses du budget de l’UE dépendraient de l’avis de la Commission concernant le fonctionnement de l’Etat polonais ».

Virginie Malingre (Bruxelles, bureau européen)


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