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TRIBUNE | Créons SAFE !
« Invasion de l’Ukraine : de l’urgence d’un Fonds pour l’autonomie de l’Europe »
L’invasion russe en Ukraine est venue fracasser la crédulité des Européens : la paix n’est pas irréversible et notre prospérité ne dépend pas que de nous. Il s’agit peut-être du dernier coup de semonce avant qu’il ne soit trop tard : nous devons délier les cordons de la bourse pour bâtir notre autonomie stratégique.
C’est pourquoi l’urgence nous commande de créer un Fonds européen pour l’autonomie stratégique, doté d’autant de milliards qu’il sera nécessaire pour assurer notre sécurité. Il s’agit désormais de refinancer et intégrer nos armées, étendre notre production agricole et sortir de notre dépendance aux hydrocarbures, qu’ils soient russes ou venus d’ailleurs. Une fois la Russie défaite, nous devrons aussi nous mobiliser pour reconstruire l’Ukraine et l’amarrer à notre Union.
Commençons par les constats. L’honnêteté nous oblige à le dire à chacun : le retour de la guerre en Europe va avoir des conséquences économiques et sociales douloureuses. Les réfugiés d’Ukraine arrivent par millions et sont dépourvus de leurs biens, le prix à la pompe dépasse les 2€ le litre, les prix des céréales et des matières premières explosent, des entreprises perdent des débouchés.
Nous devons donc agir rapidement : les réserves du budget européen doivent être mobilisées maintenant pour venir en aide aux Ukrainiens, chez eux et chez nous, en plus d’atténuer le choc pour les entreprises et le portefeuille des Européens. Bien que ces aides d’urgence européennes ne pourraient atteindre qu’une dizaine de milliards en raison de la petitesse du budget communautaire, elles seraient une source appréciable de soulagement dans l’immédiat.
En parallèle, notre Union doit plancher sur un Fonds pour l’autonomie stratégique de l’Europe (ou « Strategic Autonomy Fund for Europe » en anglais, soit « SAFE ») destiné à armer notre Union face à cette nouvelle réalité. Et ce, dès ce jeudi lors du sommet européen à Bruxelles. Ce Fonds, dans sa structure, pourrait être financé par un emprunt commun, à l’instar du grand plan de relance européen, à travers l’émission de « Peace Bonds », ou « obligations de paix ». Il aurait deux volets : un interne, pour assurer la souveraineté de l’Union européenne, et un externe, pour aider l’Ukraine dans sa reconstruction.
Alors que l’Union dépend à 40% de la Russie pour son approvisionnement en gaz, ce Fonds devrait permettre de sevrer les États des hydrocarbures puisés aux confins de l’Oural et en Sibérie. Nous devons chercher de nouveaux partenaires, mais aussi accélérer notre transition en investissant dans notre interconnexion électrique et les énergies décarbonées, si essentielles pour la planète et notre indépendance énergétique. En sus du pétrole et du gaz, la chute des importations venant de l’Ukraine, le grenier à blé de l’Europe, et de la Russie ont montré notre dépendance à des intrants agricoles clés, dont les céréales comme le blé et le maïs, mais aussi la potasse. Là aussi, l’Europe devra venir stimuler la production de ces essentiels agricoles pour assurer sa sécurité alimentaire.
Au-delà de ces productions cruciales, l’Europe doit sortir de sa naïveté en matière de défense. Malgré les horreurs qui ont marqué l’histoire de notre continent, cette agression démontre que nous ne sommes pas à l’abri de nouvelles menaces et attaques. « Plus jamais ça ! », oui. Mais il ne suffit pas juste de le dire pour s’en assurer. C’est pourquoi ce Fonds devra nous permettre de renforcer - et pour certains, reconstruire - nos armées et nos moyens de défense, notamment en matière de cybersécurité. Soyons honnêtes, cela prendra des années. Mais cet investissement sera salutaire pour nous éviter des efforts de guerre à l’avenir, en attendant l’avènement d’une armée européenne que j’appelle de mes vœux...
Enfin, au-delà même des frontières actuelles de l’Union, un volet externe du Fonds devra nous amener à un effort de paix à destination de l’Ukraine. Éventrée par les missiles, balafrée par la guerre, avec une population traumatisée et des entrepreneurs démunis, le pays ne pourra être laissé exsangue. Nous devrons l’aider à se reconstruire, mais aussi à le libérer des mains de son agresseur en renforçant son indépendance énergétique et en le connectant à notre Union. Il s’agit non seulement d’un devoir moral que d’aider nos amis Européens, mais aussi d’une nécessité géostratégique.
À l’heure où nous craignons pour l’avenir des Ukrainiens qui paient l’invasion russe de leur vie, nous devons assurer le nôtre. L’Union doit ainsi urgemment protéger les Européens dans cette crise et construire son autonomie stratégique, sans quoi notre modèle et nos valeurs resterons vulnérables. Elle doit aussi aider tous ceux qui partagent et se battent pour ces idéaux avec bravoure, telle que l’Ukraine. Les sanctions adoptées en un temps record, les tabous tombés avec le plan de relance, les revirements historiques des pays scandinaves et de l’Allemagne sur la question de la défense, nous montrent que l’Europe a désormais pris pour habitude de faire des pas de géant en temps de crise. Elle doit désormais compléter sa métamorphose en mettant en place ce Fonds pour l’autonomie stratégique de notre continent, devenu en l’espace de 11 jours aussi urgent que vital.
Slava Ukraini. Gloire à l’Europe.